Une chambre froide à Arequipa, 1000 kilomètres au sud de Lima,
Pérou. Ce sera là, la dernière adresse de Juanita, douze, quatorze ans à peine. Une enfant sacrifiée il y a de cela 500 ans. Sans doute une vierge. La plus belle momie inca congelée découverte à ce jour. En fait, la seule. Cinq mois déjà, qu’elle a quitté son cercueil de glaces, tout là-haut, au sommet du mont Ampato à 6 300 mètres d’altitude, pour poursuivre sa longue nuit, d’abord dans un frigo de fortune, puis depuis décembre dans sa chambre à moins 15$. Là, Sonia Guillen, à la tête de l’institut Mallqui qui compte 500 momies de tous âges, veille sur elle. Si fragile. Elle a, paraît-il, l’air paisible de ceux qui ont glissé tout doucement dans la mort. Pas de traces de coups. Ni sur la nuque, ni sur les doigts. Pas de signes de strangulation. Enveloppée dans de fins morceaux de laine, peut-être de lama, un châle autour du cou, elle avait sans doute revêtu une tenue des grands jours, dans des tons rouge, crème, brun, jaune safran. Dessous, recroquevillé en position foetale, son corps (chair et organes) serait intact. Seul son visage a vu le soleil. Et si par petites touches, il reste brun et gelé, il s’est décoloré. A commencé à se craqueler. Quelques semaines de plus, et c’en était fini. «Elle a été trouvée juste à temps», dit l’anthropologue Sonia Guillen.
C’était en septembre dernier. L’Américain Johan Reinhard, qui depuis les années 80, écume les sommets des Andes (déjà une centaine) à la recherche de sites incas, jette son dévolu sur le mont Ampato au sud du Pérou. «A vrai dire, j’hésitais, je redoutais la glace et une éruption volcanique.» Mais cet archéologue affilié au Field Museum of Natural History de Chicago se lance, avec son guide le Péruvien Miguel Zarate, dans le froid et les nuages de poussière volcanique. Au point le plus haut, il aperçoit des têtes de statues, le derrière dans le cratère du volcan qui depuis 5 ans s’est réveillé. «J’ai tout de suite compris aux coiffures avec plumes, que c’était de l’inca. Et puis il y avait des graviers, de la glace brisée, des cendres du volcan. Très vite aussi, il m’est apparu qu’il y avait eu une véritable plate-forme, une structure qui s’était effondrée après que le volcan eut fait fondre la glace.» Il s’approche, se penche. C’est là, en contrebas, dans une sorte de ravin que dort Juanita. Dans sa chute, l’enfant qui avait dû périr au sommet, a perdu le tissu qui lui couvrait le visage. Le soleil a commencé ses ravages. Mais le corps est encore glacé. «Je me suis approché, et j’ai voulu la soulever, mais elle était trop lourde. 40 kilos. Et puis la nuit tombait, j’ai glissé plusieurs fois. Je n’ai pas réussi à la dégager et J’ai décidé d’attendre le lendemain.» Péniblement, Johan Reinhard remonte la momie sur son dos, celle-ci finit la descente du mont Ampato à dos de mulet, isolée de la chaleur de la bête par un sac de couchage. Enfin, chargée dans le coffre à bagages d’un bus de nuit, elle gagne l’université catholique d’Arequipa et son frigo de fortune, le 11 septembre.
La merveilleuse découverte est tenue secrète. Johan Reinhard sait déjà que Juanita n’était pas seule au sommet de l’Ampato. Il veut repartir dans le calme. En équipe. Cette fois, des 6 300 mètres du sommet à 5 800, la fouille est systématique. Et là, plusieurs sites de cérémonies sont découverts. A chaque fois, ils regorgent de poteries, de statuettes, de figurines, d’or, d’argent, de feuilles de coca et de spondylus, de ces coquillages dont se servaient les Incas pour sculpter leurs figurines… Et puis deux nouveaux corps d’enfants (un garçon et une fille) sont retrouvés. Sans doute offerts comme Juanita à la montagne, que les Incas vénéraient. «L’Ampato nous a livré trois preuves de sacrifices humains. En tout, sur l’ensemble des Andes, cela porte à 12 le nombre de momies dont nous disposons. J’entends par là, momies naturelles, pas à l’égyptienne.» Douze parmi lesquelles seule Juanita est vraiment congelée et en excellent état de conservation. Les autres, souvent, sont congelées sèches, et s’effritent lorsqu’on les touche. Les trésors de l’Ampato sont révélés fin octobre.
A cette époque, l’autopsie de Juanita commence à peine. Sortie quelques brefs instants de son frigidaire, par crainte d’un coup de chaud, un premier examen aux rayons X révèle l’extraordinaire état de conservation de son corps. Seulement voilà, la momie est un vrai casse-tête. Son corps a besoin d’humidité, tandis que son visage craquelé ne doit surtout pas être réhydraté. Sonia Guillen décide de faire appel au professeur Konrad Spindler, de l’université d’Innsbruck (Autriche). L’homme qui a coordonné toute l’expertise scientifique d’Ötzie, l’Hibernatus de 5 300 ans découvert en 1991 dans les glaces du Tyrol. Un temps, il est question que Juanita parte se faire expertiser en Autriche. «Finalement, ce serait beaucoup trop compliqué. Au moins autant que d’envoyer Ötzie au Pérou.» Alors, on lui offre une chambre froide. «J’ai préconisé une température moyenne, de -15$, parce qu’au sommet du mont Ampato, il fait entre -10$ et -20$. Pour l’instant, le degré d’humidité est de 70%. Mais je pense que c’est insuffisant», affirme Konrad Spindler qui doit revenir au Pérou en mars, le temps de consulter d’autres chercheurs. Le temps d’analyser les petits bouts de textile et de peau déjà prélevés. «Je veux notamment m’assurer que des champignons qui pourraient abîmer la momie ne sont pas en train de proliférer», dit Konrad Spindler. Le temps aussi qu’une véritable équipe internationale soit totalement constituée. Alors, la momie sera véritablement passée à la question. On veut tout savoir. Juanita a-t-elle vraiment escaladé les 6 300 mètres? «L’examen de ses pieds devrait le dire, explique Johan Reinhard. Mais on peut aussi imaginer qu’on l’a portée. C’est même fort probable, vue l’ampleur du matériel retrouvé, qu’il a dû y avoir tout un convoi, avec des tas de prêtres, leurs assistants, des lamas…», suppute Johan Reinhard. Comment est-elle morte? «Il n’y a aucune trace de violence. On l’a sans doute abandonnée au sommet. Exposée au froid, elle a dû s’endormir, dormir et s’en aller vraiment», suppose Sonia Guillen. Et son expression paisible? Peut-être avait-elle mâché des feuilles de coca: on en a retrouvé sur elle. Et Konrad Spindler traque déjà des traces d’alcaloïdes. Ou alors avait-elle bu de la chicha, cet alcool de maïs? Et ce n’est pas tout, par-delà, une classique autopsie, des fragments d’ADN devraient aussi parler. Etait-elle malade? «En comparant avec l’ADN des autres momies incas, nous voudrions aussi savoir si l’on peut vraiment parler d’un peuple, ajoute Konrad Spindler. Et puis voir aussi à quel groupe d’Indiens actuels on peut rattacher Juanita.»
En attendant, méticuleusement, les Péruviens tentent de déshabiller Juanita. Ils ont commencé par le châle. L’épingle qui l’attachait a fini par être ôtée. De tout petits bouts du tissu sont réchauffés au séchoir, «le plus difficile étant de les décoller sans arracher la chair, explique Sonia Guillen. Ensuite, enlever la tunique sera beaucoup plus simple. Presque aussi facile que de déshabiller une poupée, mais nous n’en sommes vraiment pas là.» Alors, pour quelques semaines encore, Juanita devra dormir enveloppée dans ses mystères, dans sa chambre d’Arequipa, 1000 kilomètres au sud de Lima.
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