Demeures hantées
LE PRESBYTÈRE DE BORLEY
Les fantômes et poltergeists observés au presbytère de Borley sur la côte Est de l’Angleterre, sont des plus étranges dans le domaine particulièrement riche des hantises.
Cette bâtisse, aujourd’hui en ruines, située dans un joli village au bord de la Stour, petit cours d’eau paisible proche de Sudbury dans l’Essex, n’est pas très ancienne.
Elle fut construite en 1863 par le révérend Henry Bull sur le site d’un monastère cistercien datant du Moyen Âge, dont la renommée sulfureuse traversa les siècles.
Mais, prévenons nos lecteurs, les anecdotes fantastiques et les témoignages sur les phénomènes observés au presbytère de Borley appartiennent davantage à la légende qu’à l’Histoire et qu’il n’est pas toujours facile d’y démêler le mythe de la réalité.
Dès la nuit des temps, il exista à cet endroit un monastère dont des générations de conteurs ont affirmé qu’il renfermait un trésor jalousement gardé par les moines.
Les uns prétendent que ce magot appartenait aux Templiers venus de France après la dissolution de l’Ordre en 1314.
D’autres affirment que lors de la rupture avec Rome (1533) le prieur et les moines du monastère restés fidèles à l’Église romaine dissimulèrent les richesses qu’il contenait.
On dit aussi que lorsque en 1568, la malheureuse reine Marie Stuart, vaincue, fut obligée d’abdiquer et de se réfugier auprès de son ennemie Élisabeth d’Angleterre, le trésor du monastère de Borley s’enrichit d’une partie de celui des rois d’Écosse. Confié aux moines par le trésorier de la famille royale en personne, on raconte que l’escorte qui l’avait accompagné au monastère fut égorgée afin de maintenir le secret.
Un chroniqueur plus réaliste soutient que les allées et venues nocturnes, troubles divers, apparitions mystérieuses ou agressions d’entités diaboliques observés là-bas seraient la conséquence de la rapacité et de la mauvaise foi des bons moines à qui des pirates auraient confié la garde des immenses richesses accumulées au cours de leurs rapines, sans pouvoir le récupérer.
Au fil des ans, les phénomènes folkloriques observés ici sont devenus un modèle du genre, une référence pour tous les chercheurs en « paranormal », comme l’est devenue au XXe siècle, aux États-Unis, la maison hantée d’Amityville.
Cela dit, l’histoire du presbytère de Borley est intéressante à plus d’un titre. D’abord par le nombre incalculable des observations (plus de 3000), mais également par sa médiatisation à outrance grâce notamment à la presse populaire, au cinéma, puis à la télévision.
Les médias attirèrent sur place tout ce que la Grande-Bretagne, l’Europe et le Monde comptent de curieux, de médiums, de cinglés, de voyants, de mythomanes en tout genre. Les récits fantaisistes qu’ils colportaient furent relayés par les déclarations fracassantes de personnalités aussi prestigieuses que celles d’Harry Price, éminent et très controversé « chasseur de fantômes » ou d’Irving Le Noble chercheur en « paranormal » dont l’autorité auprès des « spécialistes » paraissait incontestable.
Lieu le plus hanté d’Angleterre et peut-être du monde, le site n’a pas fini de hanter les esprits et de répandre ses phantasmes.
Sa petite histoire est extrêmement riche en drames, meurtres, empoisonnements, religieuses et moines sans tête, et autres « amusettes et joyeusetés », car on s’amusait volontiers à se faire peur lors des veillées de l’époque!
Une première légende affirme qu’au Moyen Âge, une jeune et ravissante novice du couvent de Burnes fut enlevée par un jeune moine du monastère de Borley. Les amoureux furent surpris alors qu’ils quittaient la région dans une charrette espérant gagner Londres. Dénoncés par le paysan qui les transportait, le moine fut pendu et la nonne condamnée à être emmurée vive dans la crypte de la chapelle. En ce temps-là, on ne badinait pas avec l’amour.
Une seconde légende a pour héroïne une dénommée Marie Lairre, religieuse française qui, après avoir quitté son couvent du Havre, aurait épousé un nobliau de Borley, un certain Henry Waldegrave. Ce joli seigneur l’aurait étranglée en 1667 dans un des communs de l’ancien monastère, là même où sera édifié le presbytère de Borley.
Ce conte aurait pour origine, comme nous le verrons plus loin, le compte rendu de séances spirites animées par le médium Helen Glanville.
La petite histoire rapporte bien d’autres anecdotes à faire dresser les cheveux sur la tête concernant de près ou de loin le sulfureux monastère. En voici quelques-unes, pêle-mêle, pouvant accréditer l’idée d’un endroit maudit.
Celle d’un cavalier, messager de la reine, mort rongé par les renards et les rats après avoir eu les quatre membres coupés et agonisé trois jours et trois nuits dans une fosse à purin.
Le malheureux père Enoch cloué vivant par des bandits sur la porte de son oratoire.
Le martyre de la famille Waldegrave après le forfait d’Henry, décimée par la cruelle vendetta opposant deux clans rivaux, entraînant exécutions, meurtres, séquestration, assassinats, défenestration, noyade, empoisonnements, strangulations. (Voir plus haut un des épisodes mythiques de cette saga.)
Pourtant, avec l’édification en 1863 sur le terrain maudit d’un bâtiment tout neuf, béni par l’Église, le révérend Henry Bull espérait bien mettre fin à cette suite de crimes et d’horreurs et administrer son sacerdoce sur une région apaisée.Après quelques mois de ministère paisible, le révérend et sa nombreuse famille se trouvèrent à leur tour confrontés au mystère. Coups sourds provenant du sous-sol ou des combles, sang suintant des poutres du plafond, bruits de pas inexplicables, sonneries de cloches intempestives, apparitions d’entités mystérieuses, etc.
Après quelques mois de ministère paisible, le révérend Henry Bull et sa nombreuse famille se trouvèrent à leur tour confrontés au mystère. Coups sourds provenant du sous-sol ou des combles, sang suintant des poutres du plafond, bruits de pas inexplicables, sonneries de cloches intempestives, apparitions d’entités mystérieuses, etc.
Un soir, un an après y avoir emménagé, l’un des fils du révérend se plaint d’avoir été giflé au visage par une main invisible. Son petit frère racontera avoir été réveillé une nuit par un homme habillé «à l’ancienne» qui se tenait debout, armé, près de son lit.
Son épouse entendit trois nuits de suite un attelage galoper dans l’allée (la charrette de la nonne et de son soupirant ?).
Plusieurs autres parmi leurs 14 enfants prétendent également être les témoins de hantises, devenues désormais le lot quotidien des habitants du presbytère: portes arrachées, volets brisés, bruits étranges, odeurs insupportables, sons terrifiants, jets de pierres sur les tuiles et dans les vitres, déplacements inexplicables des meubles, chutes d’objets, etc.
Le révérend Henry Bull, homme solide et d’une grande piété, finit par faire appel aux plus hautes autorités ecclésiastiques pour tenter de « nettoyer » le presbytère de ses infestations.
L’intervention d’un exorciste dûment mandaté par l’Église éloigna démons et fantômes, ramenant pour quelque temps la paix dans la demeure.
Le spectacle de ce cérémonial de désenvoûtement frappa la population d’alentour et plus particulièrement l’imaginaire des enfants qui y assistaient bouche-bée. Souvent, au cours des semaines qui suivirent, les rejetons du révérend jouèrent à l’exorciste sans penser à mal.
En fait, plusieurs personnes affirmèrent que ces phénomènes paranormaux n’avaient été que jeux d’enfants. Que tout avait commencé lorsque la nombreuse progéniture du révérend s’était mise à jouer aux fantômes, à effrayer le jardinier et les domestiques en se promenant dans les allées dissimulés par des draps. Mais cette explication évidente ne convainquit pas un voisinage avide de sensations fortes.
Lorsque Malcolm H. Bull prit la relève de son père au presbytère de Borley après de solides études à Edinburgh, la petite bourgade vivait assoupie au rythme des saisons. En cette fin du XIXe siècle, la vie dans la campagne anglaise était rude et les enfants du révérend s’ennuyaient ferme.
Parmi la nombreuse progéniture du pasteur se détachaient deux jeunes tempéraments intelligents, espiègles et précoces, son fils Harry et sa fille Jennifer (Jenny).
Ils avaient maintes fois entendu parler, tant à la table familiale qu’à l’office où se retrouvaient la cuisinière, la femme de charge, la femme de chambre et le jardinier, des apparitions, des fantômes, et autres « esprits » facétieux qui hantaient autrefois le prieuré et ses communs. Cela leur donna des idées.
Durant le sommeil de leurs parents, par les nuits d’orage et de tempête, ils commencèrent pas hanter les chambres et les couloirs du presbytère, se faisant peur à eux-mêmes avant de terroriser leurs petits frères et sœurs.
Une vieille domestique, un peu sourde d’oreille et insomniaque crut sa dernière heure venue lorsque, une chandelle à la main, elle entrevit en se rendant aux commodités, un animal étrange, cornu, à la peau blanche, gambadant au bout du couloir. C’étaient nos deux garnements qui jouaient au fantôme, dissimulés sous un drap.
Aux cris de la vieille, toute la maisonnée fut réveillée en sursaut tandis que les enfants responsables de ce remue-ménage étaient repartis se coucher. La vieille bonne plus morte que vive raconta ce qu’elle avait vu et, dès le lendemain, le village fut mis au courant de l’apparition.
Enhardis par leur impunité, Jenny et Harry remirent ça, agrémentant leurs jeux nocturnes en enfermant dans une caisse au grenier un rat qu’ils avaient capturé et qui pour se dégager bouleversa pendant plus d’une heure le silence nocturne.
Lors de grandes vacances, le presbytère accueillit un cousin germain habitant Pékin avec ses parents diplomates. Ses récits hauts en couleur subjuguèrent littéralement Harry et Jenny. Sa description des fêtes chinoises avec leurs processions de dragons, l’envoi de cerfs volants, les pétarades assourdissantes leur donnèrent aussitôt de nouvelles idées.
Aidés par leur cousin, ils réussirent l’envoi vers minuit d’un lampion le long du fil de leur cerf volant selon l’antique tradition chinoise. Leur parent avait aussi apporté quelques pétards dont ils surent user à bon escient.
Ces lueurs dans le ciel, ce tohu-bohu dans les combles, ces pétarades impromptues ranimèrent dans le village le vieux fantasme du presbytère hanté qui réapparaissait de génération en génération.
Une vieille sorcière qui habitait dans les bois jeta de l’huile sur le feu en annonçant une guerre meurtrière pour bientôt, et ce fut la guerre des Bœrs.
Lorsque le facétieux Harry, succéda à Malcolm, après la guerre de 14-18, il connut d’abord un ministère sans problèmes. Et pour cause. Il savait parfaitement ce qu’il en était des esprits vagabonds et des fantômes, et comment les traiter!
Pourtant, au début des années 20, l’on recommença à chuchoter dans le village que le presbytère était hanté. En réalité, des « manifestations » insolites imprévues vinrent empoisonner l’existence de Harry Bull et des siens.
Mais cette fois, le pasteur n’y était pour rien et ses enfants, maintenus dans le droit chemin par une main de fer, apparemment non plus.
Cette fois, il semblait que les habitants du presbytère avaient affaire à des phénomènes d’une autre nature. Poltergeist, plaintes nocturnes, fruits qui pourrissent, conserves avariées, puits empoisonné, invasion de serpents.
Harry Bull se maintint pourtant à Borley jusqu’en 1927, année de sa mort. (D’autres témoins, comme Terence J. Pope, affirment qu’il quitta les lieux bien vivant mais totalement épuisé.)
Eric Smith et sa famille lui succédèrent en 1928 malgré la renommée sulfureuse du presbytère de Borley qui s’était répandue dans la contrée, rumeurs auxquelles il n’ajouta pas foi.
Mais dès son installation, ces manifestations étranges, plaintes lugubres, bruissement de pas, déplacements d’objets sans intervention humaine, apparitions spontanées d’entités incorporelles et curieuses lueurs vagabondes, se firent plus pressantes et s’aggravèrent.
L’on observa non seulement des jets de pierres, des suintements de sang mais aussi la prolifération de champignons visqueux et nauséabonds dans les charpentes et le long des poutres. Mary Pearson, la servante des Smith, effrayée par les apparitions diaboliques refusa de demeurer davantage au presbytère.
Le village de Borley recevra un sérieux coup de projecteur et connaîtra un regain de popularité lorsque un journaliste publia dans le Daily Mirror du 10 juin 1929, un article fracassant sur les fantômes et les apparitions du presbytère.
Dès lors qu’ils se trouvèrent imprimés dans un journal, la population toute entière, même les plus sceptiques, considérera ces phénomènes comme des faits réels.
Dans la capitale du royaume, cet article éveilla la curiosité d’Harry Price, un personnage haut en couleurs, pourfendeur de spirites, des faux médiums et autres charlatans nombreux dans le royaume. Riche, séduisant, le verbe convaincant, il s’était autoproclamé « chasseur de fantômes » et avait fondé un « Laboratoire National des Sciences psychiques ». Il se disait correspondant à Londres de la très sérieuse American Society for Psychical Research.
Price se rendit à Borley, visita les lieux, fureta dans tous les coins, interrogea les gens du village et fut convaincu qu’il se passait effectivement quelque chose de bizarre et de mystérieux dans la région.
Il persuada le pasteur Smith qui occupait le presbytère depuis le départ d’Harry Bull, de l’aider à mener une enquête approfondie sur place.
Harry Price ne péchait pas par modestie. Ses investigations n’auront pas la discrétion exigée par ce genre de procédure lorsqu’il s’agit de faire la lumière sur des phénomènes de cet ordre.
Le flamboyant chasseur de fantômes arriva à Borley précédé par un intense tam-tam médiatique. A bord de sa somptueuse voiture, gros cigare au poing, le verbe haut, il bluffa les habitants de cette paisible bourgade. D’emblée, il remua ciel et terre, fouilla sans ménagement dans la vie privée des personnes vivant dans les environs du presbytère.
Déstabilisés par les manifestations paranormales et la publicité de mauvais aloi qu’elles engendraient, les empêchant de vivre une vie normale, les Smith vont s’installer à Long Melford. Le révérend continuera néanmoins, dans un premier temps, à s’occuper de la paroisse de Borley et de ses ouailles.
Les curieux affluèrent de toute l’Angleterre, des cars de touristes vinrent enrichir les restaurateurs, les hôteliers du village, les vendeurs de souvenirs et de cartes postales.
Lorsque à bout de nerfs Eric Smith et sa famille quitteront définitivement la région nour s’établir à Norfolk, les phénomènes cesseront à nouveau durant quelques mois.
Le 16 Octobre 1930, Lionel Foyster, un cousin d’Harry Bull viendra habiter le prebytère avec son épouse Marianne et leur fille Adélaïde, âgée de deux ans et demie. C’est un couple solide, ayant la tête sur les épaules et que la renommée sulfureuse du presbytère n’effraie pas.
Mais très vite, selon leur témoignage, les manifestations paranormales reprennent avec une violence accrue. Déluge de cailloux, suintements de sang, apparitions de fantômes, hurlements et ricanements dans la nuit deviennent leur lot quotidien. Cette fois, ils constatent que les entités vont jusqu’à commettre des agressions physiques, alternant coups de griffes et morsures, se livrant à de véritables attentats, bousculant leur domestique dans l’escalier monumental de la demeure avant de la rouer de coups.
Les Foyster font alors appel à Harry Price qui revient sur place bien décidé cette fois à découvrir le pot aux roses. Comme lors de sa première enquête, si le chasseur de fantômes est persuadé de la réalité de la plupart des faits il ne parvient toujours pas à fournir une explication rationnelle des phénomènes.
Lui, qui ne croit ni aux fantômes, ni aux esprits malveillants et autres hantises, est obligé de constater l’inimaginable. Il soupçonne bien Marianne, la jeune épouse Foyster, d’être consciemment ou inconsciemment à l’origine des messages sataniques griffonnés sur les murs de la demeure et des poltergeists. Mais il hésite à l’accuser ouvertement, car les phénomènes se poursuivent même en son absence.
Je l’ai dit, Harry Price ne croit guère au surnaturel, réfutant toute intervention d’esprits maléfiques, il garde les pieds sur terre.
Mais en janvier 1932, ne parvenant ni à expliquer ni à faire cesser ces phénomènes, Price accepte à contre cœur de faire exorciser le presbytère par un groupe de spirites conduit par un certain Marks Tey, désenvoûteur secondé par le médium Guy L’Estrange.
Suite à leur intervention, les apparitions fantomatiques et les facéties des entités cessent alors subitement au grand dam des touristes et des curieux alléchés par ce cirque.
Mais pas pour longtemps. A peine le commando spirite a-t-il tourné les talons, sûr de son pouvoir spirituel et de son triomphe sur les forces du mal, voilà que la sarabande reprend comme avant. D’étranges musiques retentissent dans l’église, le vin de messe se change en encre, les femmes et les vaches des environs avortent, les poules ne pondent plus, des formes blanches de fantômes lévitent dans la nuit.
Un matin, Marianne découvre sa fille le visage couvert de sang et le corps tuméfié, se plaignant d’avoir été agressée par « quelque chose d’horrible ».
En 1935, les Foyster quittent Borley définitivement, affirmant être à bout de nerfs, incapables de se faire aux innombrables événements paranormaux et apparitions dont ils ont été les victimes.
De mauvaises langues prétendent que ce fut « fortune faite », que le révérend et sa famille avaient effectué une bonne plus-value sur la vente du presbytère, acquis cinq ans plus tôt pour une bouchée de pain.
Après la famille Foyster le presbytère ne fut plus habité par des gens d’Église car le révérend Henning qui leur succéda en 1936 demanda à son évêque l’autorisation d’aller habiter à Liston, un village proche.
En 1937, souhaitant élucider définitivement le mystère, Harry Price loua le presbytère de Borley pour s’y installer lui-même et fit paraître une longue annonce dans le Times.
Selon Olivier Valentin, qui relate cet épisode avec humour sur le Net, cette annonce invitait « toutes personnes saines de corps et d’esprit, intrépides, à l’esprit critique et impartial, à rejoindre notre équipe de témoins dans le cadre d’une durée d’un an, de jour comme de nuit, dans une maison présumée hantée située dans notre Comté. Références exigées.» Elle se poursuivait ainsi : «Toutes personnalités de formation scientifique ayant une expérience dans la manipulation d’appareils d’observation et de contrôle sont les bienvenues.»
La boîte postale chargée d’accueillir les candidatures fut submergée par un courrier venu de partout.
Toujours selon Olivier Valentin, Price effectua une première sélection parmi lesquelles un certain M.S.H. Glanville et ses enfants, ainsi qu’un diplomate, Mark Kerr-Pearse.
Harry Price et son équipe d’enquêteurs s’installent dans les 24 pièces du presbytère. Avant de distribuer les tâches à chacun, il leur distribue un manuel de sa composition décrivant les méthodes et les outils d’investigation de lieux hantés.
Parmi ces traqueurs de fantômes amateurs se détache Helen Glanville, spécialiste du oui-ja, dont les séances très suivies livrent par l’intermédiaire de la « planchette » de surprenantes révélations.
Celle notamment de Malcomb Barnes, chevalier servant de la reine d’Écosse, vendu par ses frères à des pirates, mort sans sépulture en terre d’Islam, et qui errerait dans la contrée les nuits de lune montante ou descendante, à la recherche de son épée sertie de pierres précieuses qui se trouverait dans le trésor des moines de Borley. La « planchette » désigna également nommément Marie Lairre, dont j’ai parlé plus haut, une religieuse assassinée par Henry Waldegrave dont l’âme errante hanterait les lieux.
Lors d’une autre séance de oui-ja, se déroulant en mars 1938, la planchette révèle sous la dictée d’un esprit inconnu, «la destruction prochaine du presbytère par le feu et la découverte dans les ruines des restes d’une nonne assassinée», événements qui ne tarderont pas à se produire.
Le capitaine William Gregson et sa famille furent les derniers à vivre au presbytère. Gregson, un rationaliste sceptique à qui l’on n’en conte pas, acheta la demeure, connaissant sa sulfureuse réputation. Ne croyant ni en Dieu ni au diable et encore moins aux esprits errants, il allait rapidement changer d’avis.
Dès l’installation des Gregson, les esprits leur en firent voir de toutes les couleurs. La folle sarabande des esprits facétieux reprit de plus belle, venant gâcher leurs nuits. Fantômes, apparitions, grêles de pierres, odeurs dégoutantes empoisonnèrent leur vie comme ils avaient perturbé celle de leurs prédécesseurs.
Durant la nuit du 27 au 28 Février 1939, le presbytère de Borley fut détruit par le feu à la suite de la manipulation malheureuse d’une lampe à pétrole par son propriétaire. L’incendie qui se déclara dans la bibliothèque se répandit à travers toute la demeure la consumant entièrement.
Ce sinistre frappa les esprits et donna lieu à mille explications toutes plus farfelues les unes que les autres. De mauvaises langues affirmèrent que les propriétaires avaient eux-mêmes mis le feu au bâtiment pour toucher le montant de l’assurance.
En 1943, Harry Price, encore lui, qui avait raconté son expérience dans un premier livre à succès, reprit son enquête à zéro, fouilla les sous-sols et découvrit dans les ruines un squelette de femme enterré dans la cave dont il affirma que c’était celui de la religieuse assassinée.
Après le feu, les fantômes se manifestèrent de l’autre côté de la route, dans l’église de Borley même. Ces événements et leur relation par les médias attirèrent une nouvelle foule de curieux à Borley.
D’innombrables photographes amateurs ou professionnels publièrent des clichés parfois très énigmatiques de certaines apparitions. Il s’agissait pour la plupart de photos truquées ou maquillées après leur développement. L’une des plus spectaculaires, la photo dite de « la brique flottante » apportait la preuve d’un poltergeist pris sur le fait. Aux dires d’observateurs nantis de jumelles, cette brique était «transportée dans les airs par un esprit volant !».
Le cliché d’un vieil homme au corps voûté vêtu à l’ancienne, au visage buriné sans oreilles et sans nez, sorti tout droit d’un film d’horreur, fit lui aussi le tour des salles de rédaction.
Le photographe Dick Gee produisit quant à lui une photo prise dans l’église présentant une sorte de « halo lumineux » en son milieu, où un œil exercé ou imaginatif pouvait distinguer un ange !
Après la grande guerre, Alan Gregson, un des fils du capitaine, décrivit ses souvenirs personnels dans une lettre à Richard Lee, qui enquêtait à son tour sur les fantômes du presbytère. Son frère Anthony conta au même journaliste une version très différente des mêmes phénomènes, plus dramatique que celle de Richard.
Leur publication dans la presse populaire relança la pression médiatique.
Marianne Foyster, interrogée à son tour par un journaliste de la BBC, souleva le coin du voile. Elle donna un récit plausible des souvenirs qu’elle conservait de ces événements, affirmant que tous les phénomènes avaient été très exagérés, qu’avec son mari ils se régalaient à lire les élucubrations des médias.
L’affaire rebondit en 1958 avec de nouvelles révélations de Marianne Foyster, qui confia à des chercheurs sérieux, enquêtant pour la nième fois sur l’affaire, que toutes ces manifestations n’avaient été qu’une mise en scène.
C’était elle, son défunt époux et leurs enfants qui, avoua-t-elle, étaient derrière chaque coup frappé à Borley, chaque apparition, chaque bruit de cloche ou de chaîne et qu’ils s’étaient amusés comme des petits fous de la crédulité de leurs concitoyens.
C’était elle, Marianne, qui avait tracé les inscriptions sur les murs du presbytère, collé des champignons entre les poutres, utilisé du sang frais de porc pour provoquer les mystérieux suintements.
Elle avoua en riant que l’idée de ces mystifications leur était venue après une rencontre au cours d’une soirée chez des amis, de trois des enfants et petits-enfants d’Henry Bull, le constructeur du presbytère.
Ces personnes déjà âgées racontaient avec gourmandise les souvenirs de leur jeunesse au cours de laquelle ils avaient mystifié leurs parents, leurs domestiques et tous les habitants de la contrée.
Elles riaient encore de leurs promenades nocturnes déguisées en spectres sous couvert de leurs draps, de leurs mises en scène lumineuses grâce à des feux de bengale, à leurs jets de pierres, leurs poursuites dans les greniers, les boules puantes répandues dans les bénitiers…
Les adeptes de mystère, de paranormal et de hantises vexés, prétendirent que bien avant la construction du presbytère, un sentier menant à l’église était connu sous le nom du «sentier de la nonne», en souvenir du fantôme d’une religieuse qui y aurait maintes fois été aperçu.
Et de nos jours encore, l’église de Borley serait le théâtre de manifestations étranges. C’est du moins ce que l’on dit.
En 1995, David Bamber prit une photo semblant montrer Harry Price flottant au-dessus d’une pierre tombale.
Le même publia en 1999 une photo de ce qui pouvait passer pour une silhouette de nonne dans les arbres.
Harry Price, le célèbre chasseur de fantômes qui avait démasqué tant de faux médiums, élucidé tant de hantises truquées, s’était-il laissé prendre à son propre jeu lorsqu’il publia son témoignage, étayant sa crédulité de minutieuses constatations.
Pour l’occasion, il avait employé un appareillage moderne : enregistreurs, caméras, éclairage infra-rouge.
Pour l’éminent spécialiste de la question qu’il prétendait être son étude fit d’ailleurs l’objet du film Qui hante le presbytère de Borley? il ne faisait aucun doute : les lieux étaient bel et bien infestés par des entités et que ces phénomènes mystérieux constituaient même l’une des plus évidentes preuves de l’existence des fantômes.
Après la mort d’Harry Price survenue en 1948, certains de ses anciens collaborateurs alimentèrent la controverse en l’accusant d’avoir amplifié les événements insolites du presbytère et bidonné à son tour pour faire vendre ses livres.
Laissons le dernier mot à Lilian Amstrong-Bailey une célèbre voyante et médium britannique qui affirma avoir reçu un message de l’au-delà signé «Harry Price.» Cette communication pleine d’humour disait : Le presbytère est vraiment hanté. Borley le prouvera de lui-même et je serai vengé, même si pour ce faire, je dois y revenir et m’y manifester moi-même…
Cette bâtisse, aujourd’hui en ruines, située dans un joli village au bord de la Stour, petit cours d’eau paisible proche de Sudbury dans l’Essex, n’est pas très ancienne.
Elle fut construite en 1863 par le révérend Henry Bull sur le site d’un monastère cistercien datant du Moyen Âge, dont la renommée sulfureuse traversa les siècles.
Mais, prévenons nos lecteurs, les anecdotes fantastiques et les témoignages sur les phénomènes observés au presbytère de Borley appartiennent davantage à la légende qu’à l’Histoire et qu’il n’est pas toujours facile d’y démêler le mythe de la réalité.
Un fabuleux trésor
Les uns prétendent que ce magot appartenait aux Templiers venus de France après la dissolution de l’Ordre en 1314.
D’autres affirment que lors de la rupture avec Rome (1533) le prieur et les moines du monastère restés fidèles à l’Église romaine dissimulèrent les richesses qu’il contenait.
On dit aussi que lorsque en 1568, la malheureuse reine Marie Stuart, vaincue, fut obligée d’abdiquer et de se réfugier auprès de son ennemie Élisabeth d’Angleterre, le trésor du monastère de Borley s’enrichit d’une partie de celui des rois d’Écosse. Confié aux moines par le trésorier de la famille royale en personne, on raconte que l’escorte qui l’avait accompagné au monastère fut égorgée afin de maintenir le secret.
Un chroniqueur plus réaliste soutient que les allées et venues nocturnes, troubles divers, apparitions mystérieuses ou agressions d’entités diaboliques observés là-bas seraient la conséquence de la rapacité et de la mauvaise foi des bons moines à qui des pirates auraient confié la garde des immenses richesses accumulées au cours de leurs rapines, sans pouvoir le récupérer.
Une référence pour les chercheurs
Cela dit, l’histoire du presbytère de Borley est intéressante à plus d’un titre. D’abord par le nombre incalculable des observations (plus de 3000), mais également par sa médiatisation à outrance grâce notamment à la presse populaire, au cinéma, puis à la télévision.
Les médias attirèrent sur place tout ce que la Grande-Bretagne, l’Europe et le Monde comptent de curieux, de médiums, de cinglés, de voyants, de mythomanes en tout genre. Les récits fantaisistes qu’ils colportaient furent relayés par les déclarations fracassantes de personnalités aussi prestigieuses que celles d’Harry Price, éminent et très controversé « chasseur de fantômes » ou d’Irving Le Noble chercheur en « paranormal » dont l’autorité auprès des « spécialistes » paraissait incontestable.
Amusettes et joyeusetés
Sa petite histoire est extrêmement riche en drames, meurtres, empoisonnements, religieuses et moines sans tête, et autres « amusettes et joyeusetés », car on s’amusait volontiers à se faire peur lors des veillées de l’époque!
Une première légende affirme qu’au Moyen Âge, une jeune et ravissante novice du couvent de Burnes fut enlevée par un jeune moine du monastère de Borley. Les amoureux furent surpris alors qu’ils quittaient la région dans une charrette espérant gagner Londres. Dénoncés par le paysan qui les transportait, le moine fut pendu et la nonne condamnée à être emmurée vive dans la crypte de la chapelle. En ce temps-là, on ne badinait pas avec l’amour.
Une seconde légende a pour héroïne une dénommée Marie Lairre, religieuse française qui, après avoir quitté son couvent du Havre, aurait épousé un nobliau de Borley, un certain Henry Waldegrave. Ce joli seigneur l’aurait étranglée en 1667 dans un des communs de l’ancien monastère, là même où sera édifié le presbytère de Borley.
Ce conte aurait pour origine, comme nous le verrons plus loin, le compte rendu de séances spirites animées par le médium Helen Glanville.
Un lieu maudit
Celle d’un cavalier, messager de la reine, mort rongé par les renards et les rats après avoir eu les quatre membres coupés et agonisé trois jours et trois nuits dans une fosse à purin.
Le malheureux père Enoch cloué vivant par des bandits sur la porte de son oratoire.
Le martyre de la famille Waldegrave après le forfait d’Henry, décimée par la cruelle vendetta opposant deux clans rivaux, entraînant exécutions, meurtres, séquestration, assassinats, défenestration, noyade, empoisonnements, strangulations. (Voir plus haut un des épisodes mythiques de cette saga.)
Pourtant, avec l’édification en 1863 sur le terrain maudit d’un bâtiment tout neuf, béni par l’Église, le révérend Henry Bull espérait bien mettre fin à cette suite de crimes et d’horreurs et administrer son sacerdoce sur une région apaisée.Après quelques mois de ministère paisible, le révérend et sa nombreuse famille se trouvèrent à leur tour confrontés au mystère. Coups sourds provenant du sous-sol ou des combles, sang suintant des poutres du plafond, bruits de pas inexplicables, sonneries de cloches intempestives, apparitions d’entités mystérieuses, etc.
La suite des événements allait le détromper
Un soir, un an après y avoir emménagé, l’un des fils du révérend se plaint d’avoir été giflé au visage par une main invisible. Son petit frère racontera avoir été réveillé une nuit par un homme habillé «à l’ancienne» qui se tenait debout, armé, près de son lit.
Son épouse entendit trois nuits de suite un attelage galoper dans l’allée (la charrette de la nonne et de son soupirant ?).
Plusieurs autres parmi leurs 14 enfants prétendent également être les témoins de hantises, devenues désormais le lot quotidien des habitants du presbytère: portes arrachées, volets brisés, bruits étranges, odeurs insupportables, sons terrifiants, jets de pierres sur les tuiles et dans les vitres, déplacements inexplicables des meubles, chutes d’objets, etc.
Exorcisme
L’intervention d’un exorciste dûment mandaté par l’Église éloigna démons et fantômes, ramenant pour quelque temps la paix dans la demeure.
Le spectacle de ce cérémonial de désenvoûtement frappa la population d’alentour et plus particulièrement l’imaginaire des enfants qui y assistaient bouche-bée. Souvent, au cours des semaines qui suivirent, les rejetons du révérend jouèrent à l’exorciste sans penser à mal.
En fait, plusieurs personnes affirmèrent que ces phénomènes paranormaux n’avaient été que jeux d’enfants. Que tout avait commencé lorsque la nombreuse progéniture du révérend s’était mise à jouer aux fantômes, à effrayer le jardinier et les domestiques en se promenant dans les allées dissimulés par des draps. Mais cette explication évidente ne convainquit pas un voisinage avide de sensations fortes.
Malcolm et Margaret
Parmi la nombreuse progéniture du pasteur se détachaient deux jeunes tempéraments intelligents, espiègles et précoces, son fils Harry et sa fille Jennifer (Jenny).
Ils avaient maintes fois entendu parler, tant à la table familiale qu’à l’office où se retrouvaient la cuisinière, la femme de charge, la femme de chambre et le jardinier, des apparitions, des fantômes, et autres « esprits » facétieux qui hantaient autrefois le prieuré et ses communs. Cela leur donna des idées.
Durant le sommeil de leurs parents, par les nuits d’orage et de tempête, ils commencèrent pas hanter les chambres et les couloirs du presbytère, se faisant peur à eux-mêmes avant de terroriser leurs petits frères et sœurs.
Une vieille domestique, un peu sourde d’oreille et insomniaque crut sa dernière heure venue lorsque, une chandelle à la main, elle entrevit en se rendant aux commodités, un animal étrange, cornu, à la peau blanche, gambadant au bout du couloir. C’étaient nos deux garnements qui jouaient au fantôme, dissimulés sous un drap.
Aux cris de la vieille, toute la maisonnée fut réveillée en sursaut tandis que les enfants responsables de ce remue-ménage étaient repartis se coucher. La vieille bonne plus morte que vive raconta ce qu’elle avait vu et, dès le lendemain, le village fut mis au courant de l’apparition.
Impunité
Lors de grandes vacances, le presbytère accueillit un cousin germain habitant Pékin avec ses parents diplomates. Ses récits hauts en couleur subjuguèrent littéralement Harry et Jenny. Sa description des fêtes chinoises avec leurs processions de dragons, l’envoi de cerfs volants, les pétarades assourdissantes leur donnèrent aussitôt de nouvelles idées.
Aidés par leur cousin, ils réussirent l’envoi vers minuit d’un lampion le long du fil de leur cerf volant selon l’antique tradition chinoise. Leur parent avait aussi apporté quelques pétards dont ils surent user à bon escient.
Ces lueurs dans le ciel, ce tohu-bohu dans les combles, ces pétarades impromptues ranimèrent dans le village le vieux fantasme du presbytère hanté qui réapparaissait de génération en génération.
Une vieille sorcière qui habitait dans les bois jeta de l’huile sur le feu en annonçant une guerre meurtrière pour bientôt, et ce fut la guerre des Bœrs.
Un ministère paisible
Pourtant, au début des années 20, l’on recommença à chuchoter dans le village que le presbytère était hanté. En réalité, des « manifestations » insolites imprévues vinrent empoisonner l’existence de Harry Bull et des siens.
Mais cette fois, le pasteur n’y était pour rien et ses enfants, maintenus dans le droit chemin par une main de fer, apparemment non plus.
Cette fois, il semblait que les habitants du presbytère avaient affaire à des phénomènes d’une autre nature. Poltergeist, plaintes nocturnes, fruits qui pourrissent, conserves avariées, puits empoisonné, invasion de serpents.
Harry Bull se maintint pourtant à Borley jusqu’en 1927, année de sa mort. (D’autres témoins, comme Terence J. Pope, affirment qu’il quitta les lieux bien vivant mais totalement épuisé.)
Puis vinrent les Smith
Mais dès son installation, ces manifestations étranges, plaintes lugubres, bruissement de pas, déplacements d’objets sans intervention humaine, apparitions spontanées d’entités incorporelles et curieuses lueurs vagabondes, se firent plus pressantes et s’aggravèrent.
L’on observa non seulement des jets de pierres, des suintements de sang mais aussi la prolifération de champignons visqueux et nauséabonds dans les charpentes et le long des poutres. Mary Pearson, la servante des Smith, effrayée par les apparitions diaboliques refusa de demeurer davantage au presbytère.
Le village de Borley recevra un sérieux coup de projecteur et connaîtra un regain de popularité lorsque un journaliste publia dans le Daily Mirror du 10 juin 1929, un article fracassant sur les fantômes et les apparitions du presbytère.
Dès lors qu’ils se trouvèrent imprimés dans un journal, la population toute entière, même les plus sceptiques, considérera ces phénomènes comme des faits réels.
L’intervention d’Harry Price
Dans la capitale du royaume, cet article éveilla la curiosité d’Harry Price, un personnage haut en couleurs, pourfendeur de spirites, des faux médiums et autres charlatans nombreux dans le royaume. Riche, séduisant, le verbe convaincant, il s’était autoproclamé « chasseur de fantômes » et avait fondé un « Laboratoire National des Sciences psychiques ». Il se disait correspondant à Londres de la très sérieuse American Society for Psychical Research.
Price se rendit à Borley, visita les lieux, fureta dans tous les coins, interrogea les gens du village et fut convaincu qu’il se passait effectivement quelque chose de bizarre et de mystérieux dans la région.
Il persuada le pasteur Smith qui occupait le presbytère depuis le départ d’Harry Bull, de l’aider à mener une enquête approfondie sur place.
Harry Price ne péchait pas par modestie. Ses investigations n’auront pas la discrétion exigée par ce genre de procédure lorsqu’il s’agit de faire la lumière sur des phénomènes de cet ordre.
Le flamboyant chasseur de fantômes arriva à Borley précédé par un intense tam-tam médiatique. A bord de sa somptueuse voiture, gros cigare au poing, le verbe haut, il bluffa les habitants de cette paisible bourgade. D’emblée, il remua ciel et terre, fouilla sans ménagement dans la vie privée des personnes vivant dans les environs du presbytère.
Déstabilisés par les manifestations paranormales et la publicité de mauvais aloi qu’elles engendraient, les empêchant de vivre une vie normale, les Smith vont s’installer à Long Melford. Le révérend continuera néanmoins, dans un premier temps, à s’occuper de la paroisse de Borley et de ses ouailles.
Les curieux affluèrent de toute l’Angleterre, des cars de touristes vinrent enrichir les restaurateurs, les hôteliers du village, les vendeurs de souvenirs et de cartes postales.
Lorsque à bout de nerfs Eric Smith et sa famille quitteront définitivement la région nour s’établir à Norfolk, les phénomènes cesseront à nouveau durant quelques mois.
Arrivée des Foyster
Mais très vite, selon leur témoignage, les manifestations paranormales reprennent avec une violence accrue. Déluge de cailloux, suintements de sang, apparitions de fantômes, hurlements et ricanements dans la nuit deviennent leur lot quotidien. Cette fois, ils constatent que les entités vont jusqu’à commettre des agressions physiques, alternant coups de griffes et morsures, se livrant à de véritables attentats, bousculant leur domestique dans l’escalier monumental de la demeure avant de la rouer de coups.
Les Foyster font alors appel à Harry Price qui revient sur place bien décidé cette fois à découvrir le pot aux roses. Comme lors de sa première enquête, si le chasseur de fantômes est persuadé de la réalité de la plupart des faits il ne parvient toujours pas à fournir une explication rationnelle des phénomènes.
Lui, qui ne croit ni aux fantômes, ni aux esprits malveillants et autres hantises, est obligé de constater l’inimaginable. Il soupçonne bien Marianne, la jeune épouse Foyster, d’être consciemment ou inconsciemment à l’origine des messages sataniques griffonnés sur les murs de la demeure et des poltergeists. Mais il hésite à l’accuser ouvertement, car les phénomènes se poursuivent même en son absence.
Un groupe de spirites
Mais en janvier 1932, ne parvenant ni à expliquer ni à faire cesser ces phénomènes, Price accepte à contre cœur de faire exorciser le presbytère par un groupe de spirites conduit par un certain Marks Tey, désenvoûteur secondé par le médium Guy L’Estrange.
Suite à leur intervention, les apparitions fantomatiques et les facéties des entités cessent alors subitement au grand dam des touristes et des curieux alléchés par ce cirque.
Mais pas pour longtemps. A peine le commando spirite a-t-il tourné les talons, sûr de son pouvoir spirituel et de son triomphe sur les forces du mal, voilà que la sarabande reprend comme avant. D’étranges musiques retentissent dans l’église, le vin de messe se change en encre, les femmes et les vaches des environs avortent, les poules ne pondent plus, des formes blanches de fantômes lévitent dans la nuit.
Un matin, Marianne découvre sa fille le visage couvert de sang et le corps tuméfié, se plaignant d’avoir été agressée par « quelque chose d’horrible ».
C’en est trop
De mauvaises langues prétendent que ce fut « fortune faite », que le révérend et sa famille avaient effectué une bonne plus-value sur la vente du presbytère, acquis cinq ans plus tôt pour une bouchée de pain.
Après la famille Foyster le presbytère ne fut plus habité par des gens d’Église car le révérend Henning qui leur succéda en 1936 demanda à son évêque l’autorisation d’aller habiter à Liston, un village proche.
Une petite annonce
Selon Olivier Valentin, qui relate cet épisode avec humour sur le Net, cette annonce invitait « toutes personnes saines de corps et d’esprit, intrépides, à l’esprit critique et impartial, à rejoindre notre équipe de témoins dans le cadre d’une durée d’un an, de jour comme de nuit, dans une maison présumée hantée située dans notre Comté. Références exigées.» Elle se poursuivait ainsi : «Toutes personnalités de formation scientifique ayant une expérience dans la manipulation d’appareils d’observation et de contrôle sont les bienvenues.»
La boîte postale chargée d’accueillir les candidatures fut submergée par un courrier venu de partout.
Toujours selon Olivier Valentin, Price effectua une première sélection parmi lesquelles un certain M.S.H. Glanville et ses enfants, ainsi qu’un diplomate, Mark Kerr-Pearse.
Harry Price et son équipe d’enquêteurs s’installent dans les 24 pièces du presbytère. Avant de distribuer les tâches à chacun, il leur distribue un manuel de sa composition décrivant les méthodes et les outils d’investigation de lieux hantés.
Parmi ces traqueurs de fantômes amateurs se détache Helen Glanville, spécialiste du oui-ja, dont les séances très suivies livrent par l’intermédiaire de la « planchette » de surprenantes révélations.
Celle notamment de Malcomb Barnes, chevalier servant de la reine d’Écosse, vendu par ses frères à des pirates, mort sans sépulture en terre d’Islam, et qui errerait dans la contrée les nuits de lune montante ou descendante, à la recherche de son épée sertie de pierres précieuses qui se trouverait dans le trésor des moines de Borley. La « planchette » désigna également nommément Marie Lairre, dont j’ai parlé plus haut, une religieuse assassinée par Henry Waldegrave dont l’âme errante hanterait les lieux.
Lors d’une autre séance de oui-ja, se déroulant en mars 1938, la planchette révèle sous la dictée d’un esprit inconnu, «la destruction prochaine du presbytère par le feu et la découverte dans les ruines des restes d’une nonne assassinée», événements qui ne tarderont pas à se produire.
La fin du presbytère
Dès l’installation des Gregson, les esprits leur en firent voir de toutes les couleurs. La folle sarabande des esprits facétieux reprit de plus belle, venant gâcher leurs nuits. Fantômes, apparitions, grêles de pierres, odeurs dégoutantes empoisonnèrent leur vie comme ils avaient perturbé celle de leurs prédécesseurs.
Durant la nuit du 27 au 28 Février 1939, le presbytère de Borley fut détruit par le feu à la suite de la manipulation malheureuse d’une lampe à pétrole par son propriétaire. L’incendie qui se déclara dans la bibliothèque se répandit à travers toute la demeure la consumant entièrement.
Ce sinistre frappa les esprits et donna lieu à mille explications toutes plus farfelues les unes que les autres. De mauvaises langues affirmèrent que les propriétaires avaient eux-mêmes mis le feu au bâtiment pour toucher le montant de l’assurance.
En 1943, Harry Price, encore lui, qui avait raconté son expérience dans un premier livre à succès, reprit son enquête à zéro, fouilla les sous-sols et découvrit dans les ruines un squelette de femme enterré dans la cave dont il affirma que c’était celui de la religieuse assassinée.
Au tour de l Ȏglise
D’innombrables photographes amateurs ou professionnels publièrent des clichés parfois très énigmatiques de certaines apparitions. Il s’agissait pour la plupart de photos truquées ou maquillées après leur développement. L’une des plus spectaculaires, la photo dite de « la brique flottante » apportait la preuve d’un poltergeist pris sur le fait. Aux dires d’observateurs nantis de jumelles, cette brique était «transportée dans les airs par un esprit volant !».
Le cliché d’un vieil homme au corps voûté vêtu à l’ancienne, au visage buriné sans oreilles et sans nez, sorti tout droit d’un film d’horreur, fit lui aussi le tour des salles de rédaction.
Le photographe Dick Gee produisit quant à lui une photo prise dans l’église présentant une sorte de « halo lumineux » en son milieu, où un œil exercé ou imaginatif pouvait distinguer un ange !
Le temps des aveux
Leur publication dans la presse populaire relança la pression médiatique.
Marianne Foyster, interrogée à son tour par un journaliste de la BBC, souleva le coin du voile. Elle donna un récit plausible des souvenirs qu’elle conservait de ces événements, affirmant que tous les phénomènes avaient été très exagérés, qu’avec son mari ils se régalaient à lire les élucubrations des médias.
L’affaire rebondit en 1958 avec de nouvelles révélations de Marianne Foyster, qui confia à des chercheurs sérieux, enquêtant pour la nième fois sur l’affaire, que toutes ces manifestations n’avaient été qu’une mise en scène.
C’était elle, son défunt époux et leurs enfants qui, avoua-t-elle, étaient derrière chaque coup frappé à Borley, chaque apparition, chaque bruit de cloche ou de chaîne et qu’ils s’étaient amusés comme des petits fous de la crédulité de leurs concitoyens.
C’était elle, Marianne, qui avait tracé les inscriptions sur les murs du presbytère, collé des champignons entre les poutres, utilisé du sang frais de porc pour provoquer les mystérieux suintements.
Elle avoua en riant que l’idée de ces mystifications leur était venue après une rencontre au cours d’une soirée chez des amis, de trois des enfants et petits-enfants d’Henry Bull, le constructeur du presbytère.
Ces personnes déjà âgées racontaient avec gourmandise les souvenirs de leur jeunesse au cours de laquelle ils avaient mystifié leurs parents, leurs domestiques et tous les habitants de la contrée.
Elles riaient encore de leurs promenades nocturnes déguisées en spectres sous couvert de leurs draps, de leurs mises en scène lumineuses grâce à des feux de bengale, à leurs jets de pierres, leurs poursuites dans les greniers, les boules puantes répandues dans les bénitiers…
Où est la vérité ?
Et de nos jours encore, l’église de Borley serait le théâtre de manifestations étranges. C’est du moins ce que l’on dit.
En 1995, David Bamber prit une photo semblant montrer Harry Price flottant au-dessus d’une pierre tombale.
Le même publia en 1999 une photo de ce qui pouvait passer pour une silhouette de nonne dans les arbres.
Harry Price, le célèbre chasseur de fantômes qui avait démasqué tant de faux médiums, élucidé tant de hantises truquées, s’était-il laissé prendre à son propre jeu lorsqu’il publia son témoignage, étayant sa crédulité de minutieuses constatations.
Pour l’occasion, il avait employé un appareillage moderne : enregistreurs, caméras, éclairage infra-rouge.
Pour l’éminent spécialiste de la question qu’il prétendait être son étude fit d’ailleurs l’objet du film Qui hante le presbytère de Borley? il ne faisait aucun doute : les lieux étaient bel et bien infestés par des entités et que ces phénomènes mystérieux constituaient même l’une des plus évidentes preuves de l’existence des fantômes.
Après la mort d’Harry Price survenue en 1948, certains de ses anciens collaborateurs alimentèrent la controverse en l’accusant d’avoir amplifié les événements insolites du presbytère et bidonné à son tour pour faire vendre ses livres.
Laissons le dernier mot à Lilian Amstrong-Bailey une célèbre voyante et médium britannique qui affirma avoir reçu un message de l’au-delà signé «Harry Price.» Cette communication pleine d’humour disait : Le presbytère est vraiment hanté. Borley le prouvera de lui-même et je serai vengé, même si pour ce faire, je dois y revenir et m’y manifester moi-même…
Pierre Genève 1999
SOURCES:
- BONNET (Roland) : Le presbytère de Borley, in « Science & Magie », 1992.
- DINGWALL-KATHLEEN (Eric J.), GOLDNEY (M.) et HALL (Trevor H.) : Le prebytère hanté de Borley, Collection La Tour Saint-Jacques, Denoël, 1958.
- DÔLE (Gérard) : Les spectres de Cheyne Walk, Éditions Terre de Brume, 2005.
- GENÈVE (Pierre) : Les sœurs Fox, le presbytère de Borley, la maison du diable d’Amytiville, trois canulars médiatiques ? Éditions Euredif, Collection Mandragore, 1973.
- GENÈVE (Pierre) : Les fantômes et apparitions de Borley, In Le Monde du Mystère, 1994.
- POPE (Terence J.) : Borley’s fantasies, Birmingham, 1929.
- PRICE (Harry) : La maison la plus hantée d’Angleterre, 1940
- PRICE (Harry) : La fin du presbytère de Borley, 1946.
- SELFORD (Maria) : Borley, six siècles de hantises, Thèse de doctorat, Université de Berkeley, 1963.
- VALENTIN (Olivier) : Qui hante le presbytère de Borley? http://www.maisonhantee.com/files/borley
- YONNET (Jacques) : Les grandes mystifications in « Radar », 1947.